Êtes-vous davantage sollicité que d’habitude ?

« Oui très nettement. Et chaque tranche d’âge a ses particularités, l’épidémie ne suscite pas les mêmes choses, car on n’a pas les mêmes enjeux, suivant les âges. La résonance n’est pas la même. En fonction de ce que ça met en tension, ça induira différentes difficultés ou souffrances. Au final, on constate une augmentation chez les adolescents mais il ne faut pas sous-estimer les effets sur l’enfance et la petite enfance. »

Est-ce que ce n’est pas quelque chose que l’on mesurera dans quelques années seulement ?

« Tout va dépendre dans quelle mesure on va pouvoir reprendre une vie sociale relationnelle qui corresponde à nos besoins essentiels. Là, on est dans quelque chose d’inhabituel, presque contre développemental par rapport aux besoins des enfants et adolescents. On a besoin de se toucher, de s’embrasser, de se défier, d’avoir des contacts. Cette épidémie nous corsète, nous contraint et réduit la vie à son aspect utilitaire. C’est une forme de poison développemental qui va à l’encontre des besoins des humains pour se développer. Ça touche plus fort ceux qui n’allaient pas bien, mais ça met à l’épreuve tout le monde, on sent que certains s’épuisent. C’est pour ça qu’il y a regain d’activité en ce moment. Il y a un épuisement des réserves que l’immense majorité des ados et enfants ont habituellement. 90 % d’entre eux vont bien. Mais d’autres ne tiennent plus, lâchent. »

Pour quelles raisons lâchent-ils ?

« L’épidémie touche tout, l’individuel et le collectif, le corps et le psychisme. Concernant l’école, il y a des aménagements scolaires, par contre, les attendus n’ont pas beaucoup changé. Autant dans le premier confinement, les enjeux ont été suspendus, là, il va y avoir le bac, le brevet, les passages de classes, les devoirs… la pression scolaire vient comme à l’habitude et s’ajoute aux contraintes, la distanciation, la vigilance. Les enfants sont sous pression, il y a un cumul qui les fait chavirer. »

On parle beaucoup du risque de suicides chez les ados…

« On a un regain d’activité en nombre et en intensité. On accueille des adolescents qui font des tentatives de suicides, qui ont des symptômes dépressifs, qui s’automutilent, qui ont des formes d’anorexies plus sévères. Et quand ils nous arrivent, ce sont des symptômes d’une intensité non-négligeable. Ceux qui n’allaient pas bien vont plus mal. Et ceux qui n’allaient pas trop mal, quand ils nous arrivent, ils viennent à un stade assez avancé dans la souffrance. »

Vous notez davantage de suicides…

« C’est difficile à chiffrer. Mais on a une structure, l’Asap (Accueil et soins pour adolescents en psychiatrie), pour accueillir les adolescents qui se sont présentés aux urgences. Pour les formes plus sévères, on les hospitalise à temps plein. D’ordinaire, ce transfert est rarissime. En 2019, il y a eu 4-5 transferts. Là, en 2020, sur les 4 derniers mois, on en a transféré 25. Ça veut dire que l’Asap n’a pas suffi, que c’était trop important. »