Bérangère Thirioux est chercheuse depuis plus de deux ans à l’unité de recherche clinique (URC) du CHL. Docteur en neurosciences, elle a également étudié la phénoménologie en philosophie, ainsi que la neuropsychologie. Sa spécialité : une approche neuro-phénoménologique de la notion d’empathie, nourrie d’une riche formation entre Paris, Lausanne et Berlin.
Comment vos travaux sur l’empathie sont-ils venus croiser les recherches menées sur l’insight, spécialité du Pr Nemat Jaafari, responsable de l’URC ?
L’empathie (de l’allemand « Einfühlung », littéralement « sentir dans ») est la capacité à se mettre à la place de l’autre, sans transfert de sentiments, ce qui la différencie de la sympathie (de l’allemand « Mitfühlung », littéralement « sentir avec »). L’insight est la conscience qu’a le patient psychiatrique de sa pathologie et sa faculté à se percevoir comme malade, tant du point de vue de son altération physique que psychique. La dimension psychique métacognitive de l’insight se caractérise par la capacité du patient à se prendre comme objet de sa conscience, et donc à prendre conscience de sa maladie. Il fait alors preuve d’objectivité en se regardant d’un point de vue extérieur à lui-même, ce qui nécessite des capacités d’empathie : ressentir ce qui vit l’autre en étant capable d’adopter son point de vue. Autrement dit, un mauvais insight chez les patients serait associé à une altération de l’empathie. Nous étudions la co-altération de l’empathie et de l’insight, un trait commun à toutes les pathologies mentales qui varie en fonction du type de pathologie.
Existe-t-il des traitements pour améliorer l’empathie et l’insight ?
En lien étroit avec les psychiatres du CHL, nous effectuons un certain nombre de tests comportementaux et neuro-fonctionnels sur des patients atteints de TOC, addiction, schizophrénie ou dépression. Grâce à l’électro-encéphalographie (EEG) –l’URC dispose d’un des seuls modèles à 256 voies en France – nous enregistrons l’activité électrique du cerveau à la milliseconde près, ce qui nous permet de repérer les dynamiques corticales qui sous-tendent l’empathie mais aussi l’insight. Une fois que nous aurons décrit précisément comment ces dynamiques dysfonctionnent chez les patients et, cela différemment en fonction de la pathologie, nous essaierons d’agir sur ces mêmes dynamiques au moyen de la stimulation magnétique transcranienne (rTMS). Notre approche est donc à la fois fondamentale (décrire et comprendre le dysfonctionnement) et interventionnelle (via la thérapie).
Actuellement, nous testons comment les patients souffrant de dépression sévère et qui bénéficient d’un protocole en rTMS améliorent leurs capacités d’empathie avant et après traitement et comment cette amélioration des capacités empathiques est associée à une amélioration symptomatologique. Une deuxième étape sur laquelle nous travaillons en ce moment est la remédiation cognitive permettant de stimuler par la thérapie cognitivo-comportementale l’empathie et l’insight des patients. Dans cette démarche de recherche et d’expérimentation, la vraie force de l’URC, c’est son équipe pluridisciplinaire : aux côtés des chercheurs, rien ne serait possible sans le concours d’un ingénieur spécialisé en EEG et docteur en neurosciences, des infirmières coordonnant les prises en charge, d’une psychologue, des attachées de recherche clinique, des secrétaires…
Finalement, quels sont les bénéfices attendus pour le patient ?
En amenant le patient à se reconnaître comme sujet malade, nous attendons qu’il comprenne et observe mieux son traitement et accepte l’hospitalisation lorsqu’elle est nécessaire. Dans certaines pathologies, en particulier l’addiction, cela permet aussi de prévenir les rechutes.
Quelles sont actuellement les autres applications de vos recherches sur l’empathie ?
Nous travaillons sur le lien entre l’empathie et les addictions chez le rat (lire la lettre d’infos de juin 2016), mais aussi sur l’altération de l’empathie chez les auteurs de violences sexuelles, en coopération avec Virginie Cailleau, docteur en biologie au Centre ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) Poitou-Charentes. Récemment, nous avons également publié avec le Pr Jaafari et le Dr François Birault un article montrant que l’empathie dans la relation soignant-patient est un facteur protecteur du burn-out chez les soignants alors que la sympathie est un facteur de risque. L’idée est à présent de mettre en place des thérapies spécialisées et d’intégrer une dimension préventive dans la formation des soignants.
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